Bitcoin : La justice française reconnait les priorités d'une monnaie mais sans en avoir la qualification

Bitcoin : La justice française reconnait les priorités d'une monnaie mais sans en avoir la qualification

Publié le : 23/06/2020 23 juin juin 06 2020

La décision du Tribunal de commerce de Nanterre du 26 février 2020 va sans doute faire jurisprudence à plus d’un titre.
Si les arrêts portant sur les cryptomonnaies sont rares, celui-ci l’est d’autant plus au vu des questions soulevées : quelle qualification pour le bitcoin ? Qu’en est-il pour le contrat de prêt de bitcoin entre entreprises ? Enfin, après un fork*, qu’advient-il des bitcoins prêtés qui ont permis l’octroi de nouveaux tokens ?

En l’espèce, le litige opposait la société française P.**, qui, entre mai 2014 et juin 2016 a prêté à la société britannique B.*** la somme de 1.000 Bitcoins (BTC) avec intérêts, payables en BTC. Pour la compréhension de l’affaire, il est nécessaire de savoir que le 1er août 2017 voyait naître BitcoinCash (BCC), fork de Bitcoin. Chaque propriétaire d’un BTC devenait aussi propriétaire d’un BCC. Entre temps, la société française avait accordé à BitSpread, un prêt de 200.000 euros, puis conclu différentes prestations de services à son bénéfice.

Le Bitcoin « consomptible » et « fongible » à l’instar de la monnaie légale.

Afin d’obtenir d’emblée les fruits (BCC) du Bitcoin, La société P. invoquait que les Bitcoins sont des biens meubles immatériels, non fongibles. Dès lors, le prêt consenti en l’espèce devait s’apparenter à un prêt à usage.

Or, cette argumentation n’a pas été retenue par le Tribunal de commerce de Nanterre. Les magistrats estiment en effet :
 
  • sur la consomptibilité : « le BTC est « consommé » lors de son utilisation, que ce soit pour payer des biens ou des services, pour l’échanger contre des devises ou pour le prêter, tout comme la monnaie légale, quand bien même il n’en est pas une ; que le BTC est donc consomptible de par son usage » ;
  • sur la fongibilité : Les BTC sont fongibles car de « même espèce et de même qualité » en ce sens que les BTC sont tous issus du même protocole informatique et qu’ils font l’objet d’un rapport d’équivalence avec les autres BTC permettant d’effectuer un paiement au sens où l’entend l’article 1291 ancien du Code civil, devenu l’Article 1347-1 du même Code lequel dispose en son deuxième alinéa que : « Sont fongibles les obligations de somme d’argent, même en différentes devises, pourvu qu’elles soient convertibles, ou celles qui ont pour objet une quantité de choses de même genre ».

Ainsi, la qualification juridique des trois contrats de prêts établis entre les deux sociétés est celle de prêt à la consommation. L’ensemble des conséquences liées à cette qualification s’appliquent donc au prêt de BTC : transfert de propriété et des risques liées à la possession de la chose, et obligation de remboursement.

Enfin, lorsqu’il s’agit de biens fongibles, seul l’enrichissement injustifié**** oblige une indemnisation au prêteur. Il n’en est rien en l’espèce étant donné que le fork BCC avait eu lieu postérieurement à la conclusion des contrats de prêts. La société anglaise n’a donc pas à restituer les 1.000 BCC qu’elle a obtenu à la suite du fork.

Si l’on comprend le raisonnement des magistrats du tribunal de commerce, on peut se poser la question de savoir si les CGU de la société P. mentionnaient à l’époque la possibilité d’un fork, et donc du sort des fruits qui seraient potentiellement distribués. Cependant, avant le 1er août 2017, un tel événement ne s’était jamais produit. Aujourd’hui, une telle clause dans des CGU apparaît primordial.

Le droit de rétention et de résiliation du compte de l’emprunteur.

Problématiques plus contractuelles, deux autres questions ont été abordées dans cette espèce.

Malgré plusieurs relances de la part de la société P., la société B. n’a pas procédé à plusieurs remboursements. Conformément à ses CGU, la société française a par conséquent fait usage de son droit de résiliation du compte du client, arguant notamment, la mauvaise foi ce celui-ci.

En parallèle, les magistrats ont donné raison à la société P. d’avoir fait légalement usage de son droit de rétention des BTC dont était titulaire la société B., en raison du non-paiement des intérêts liés au prêts de 2014 et 2016*****.

Il ne fait aucun doute que cet arrêt va amener les plateformes de transactions, d’échanges et de stockage de cryptomonnaies à modifier leur CGU en y intégrant des clauses spécifiques. Pour l’heure, les parties n’ont pas pris la décision de faire appel de cet arrêt que l’on peut qualifier d’historique.


Louis CHOCHOY Avocat au Barreau de Lille

*Scission de la blockchain créant une nouvelle cryptomonnaie à partir d’une ancienne.
**Société Paymium.
***Société BitSpread.
****Article 1303 et suivants du Code civil.
*****Eux aussi payables en BTC.

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