La réglementation des dénominations des aliments végétaux
Publié le :
08/07/2022
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Trop de protection tue-t-elle la protection ? C’est cette question qui vient à l’esprit à la lecture du décret n°2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales.
Comme son nom l’indique, ce décret, dont les dispositions entreront en vigueur le 1er octobre 2022, interdit l’utilisation de certaines dénominations utilisées traditionnellement par la filière de la nourriture carnée.
Ce que prévoit le décret
Pris en application de la loi n°2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires, le décret prévoit que sera puni d’une amende de 1500 euros (pour une personne physique) ou 7500 euros (pour une personne morale) le fait de mettre en vente ou de distribuer à titre gratuit des produits à base de protéines végétales qui utiliseraient des dénominations réservées habituellement aux denrées alimentaires d’origine animale.Ainsi il ne pourra plus être question de « steak végétal », de « saucisse vegan », de « bacon végétal », etc. Le décret est accompagné d’une liste pour le moins exhaustive des dénominations concernées. Pour chacune des appellations, un pourcentage maximum de protéines d’origine végétale a été indiqué, le dépassement de ce taux le ferait tomber dans l’illégalité.
Prendre le consommateur pour un jambon
Ce texte restrictif quant à l’utilisation de nombreux termes sur les emballages des produits est justifié par des préoccupations de « transparence de l’information au consommateur » et « la préservation de nos produits et savoir-faire » d’après Interbev, association interprofessionnelle du bétail et des viandes.Si le décret était attendu de longue date dans le milieu, la justification n’a pas manqué d’être critiquée depuis longtemps également. Ainsi en 2018, Sojasun, qui commercialise des produits à base de soja, demandait déjà à ce qu’on « ne prenne pas le consommateur pour un imbécile », estimant que le packaging des produits et la mise en avant du mot « SOJA » étaient suffisants pour que le consommateur sache ce qu’il achète.
La transparence et l’information au consommateur sont de plus assez limitées étant donné que le décret n’a vocation à s’appliquer qu’aux produits d’origine française. Dès lors qu’un produit végétal adopterait les dénominations en question, mais serait produit dans un autre pays membre de l’Union européenne, ou dans un autre pays hors UE, aucune atteinte à la légalité ne serait alors relevée.
Cette différence de traitement ne créerait-elle pas un déséquilibre entre les professionnels français et les professionnels étrangers ? On peut le craindre et se demander si les auteurs du décret ont envisagé la possibilité qu’il desserve les intérêts des entreprises françaises par rapport à leurs homologues étrangères. On peut argumenter qu’il est plus simple de commercialiser un « bacon vegan » qu’une « tranche de végétaux agglomérés ».
Est-ce qu’il n’existe pas un risque que ce décret crée plus de confusion en permettant des dénominations différentes pour désigner des produits très similaires, voire identiques ? Alors que le but est de ne pas induire le consommateur en erreur, les dispositions du décret permettront, par exemple, que cohabitent un produit dénommé « steak végétal » et un produit qui ne pourra pas adopter cette dénomination, même si l’aspect et la composition de ces produits étaient rigoureusement identiques.
Certes, l’objectif affirmé des syndicats des filières concernées est de pousser le Gouvernement à ce qu’un texte similaire soit voté à l’échelle européenne, mais cela ne résoudra pas le problème de la production hors d’Europe. De plus, le Parlement européen, le Conseil européen et la Commission européenne se sont déjà opposés, respectivement en 2020 et 2021, à l’interdiction de ces dénominations pour les produits d’origine végétale. L’interdiction mise en place risque donc de demeurer franco-française.
Raisonnement par l’absurde
Une lecture simple du texte permet aussi de remettre en cause la sincérité des intentions ayant mené à son adoption. Pourquoi avoir limité les appellations qui peuvent induire le consommateur en erreur aux seules denrées carnées ? Si la désignation induit le consommateur en erreur, on pourrait envisager d’abandonner de très nombreuses dénominations qui peuvent prêter à confusion : langue de chat, tomate cœur de bœuf, fruits de mer, hot dog, fraise tagada, voire œuf en chocolat.Certes, le raisonnement est absurde, il n’en repose pas moins sur les mêmes raisons justifiant ce texte : la dénomination du produit ne correspond pas à ce qui peut être attendu du consommateur inattentif.
Contradiction ultime
L’Observatoire National de l’Alimentation Végétale (ONAV) relève une ultime incohérence : les implications du décret entrent en contradiction directe avec le plan France Relance mis en place par le même Gouvernement. L’un des objectifs de ce plan est « d’améliorer de façon structurelle l’indépendance de la France dans la production de protéines végétales » et à « encourager les Français à augmenter leur consommation de protéines végétales ». La stratégie nationale sur les protéines végétales compte atteindre ces buts via, notamment, « un soutien aux actions de recherche et innovation », « un appui à la structuration des filières de protéines végétales » et enfin « une aide à la promotion des légumineuses »…Antoine ROUABLE - Rédacteur juridique
SECIB
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