Le mariage du mineur, atteinte ou affranchissement ?

Le mariage du mineur, atteinte ou affranchissement ?

Publié le : 09/11/2022 09 novembre nov. 11 2022



L’âge n’est pas important à moins que vous soyez du vin… ou vous voulez vous marier. Le mariage est un échange de consentements qui – en principe – lie des personnes pour le reste de leurs vies. En apportant non seulement des conséquences civiles, mais aussi juridiques, financières, etc., il s’agit d’un vœu exigeant beaucoup plus que juste ‘l’amour inconditionnel’.

Avec ces considérations en tête, il semble être juste comme suite logique que les mineurs ne peuvent pas convoler. Parce que ne dit-on pas toujours que l’impulsivité et l’idéalisme sont des éléments inextricablement liés au caractère des jeunes ? Cela n’implique aucun reproche, en fait, la naïveté juvénile est quelque chose dont la plupart des adultes peuvent avoir un peu plus. Mais ne peut-on pas supposer qu’à cause de cette naïveté, les jeunes ne sont pas capables de prendre de telles décisions si déterminantes ? Et pour les mariages forcés ?

Grâce à l’interdiction du mariage mineur, les jeunes se trouvent protégés contre eux-mêmes et la pression externe possible. Mais cette interdiction soulève la question du droit de liberté du mariage. Un droit où l’on peut trouver le socle dans le droit fondamental à la vie privée et familiale qui est consacré dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme de 1789.

L’équilibre délicat entre d’une part l’interdiction du mariage du mineur – qui semble être une prohibition de principe – et d’autre part l’application de la liberté de se marier, fait surgi une problématique dont la question principale concerne la primauté entre ces deux droits fondamentaux eux-mêmes. Peut-on alors considérer que l’interdiction du mariage du mineur a toujours primauté sur le droit de la liberté de se marier ?

I.    L’amour ne connaît pas d’âge, le mariage oui

L’interdiction de principe de convoler avant l’âge nubile ne semble plus si fondamentale lorsque d’autres droits fondamentaux entrent en scène : le mariage du mineur est considéré comme une prohibition de principe, mais la justification principale de cette interdiction – à savoir la protection des mineurs – porte atteinte au caractère absolu de cette interdiction.

A)    Le mariage du mineur, une interdiction principale

Le mariage peut être décrit comme un échange de consentements entre deux personnes en vue de créer entre elles une union dont la loi civile règle impérativement les conditions, les effets et la dissolution.
La caractéristique d’échange de consentements – résultant en une convention – indique qu’il s’agit d’un contrat(1) , ce qui implique « l’autonomie de la volonté, selon lequel les sujets de droit sont libres de conclure ou non un contrat ». D’importance significative est que l’article 1102 du Code Civil ajoute que cette liberté contractuelle doit être située dans les limites fixées par la loi(2).  En matière du mariage, la Loi n° 2006-339 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a fixé telles limites en imposant un âge de mariage minimum de dix-huit ans tant pour les filles que pour les garçons ; c’est ce qu’on appelle l’âge nubile(3).  

Cet âge nubile, aussi intégré dans l’article 144 du Code Civil, se traduit par une interdiction aux mineurs de se marier(4). Le dictionnaire juridique Lexique des termes juridiques donne la définition suivante à la notion ‘d’interdiction’ : « Une situation juridique d’une personne se trouvant privée de la jouissance ou de l’exercice de ses droits, en totalité ou en partie, en vertu de la loi ou d’une décision judiciaire  […] ».

C’est-à-dire, en l’espèce il s’agit de la privation du droit de mariage du mineur, et ce sur la base de l’article 144 du Code Civil.

Étant donné que la privation de liberté du mariage du mineur comporte une limitation considérable des droits fondamentaux, il est indiqué d’examiner le motif principal du législateur. 

B)    L’interdiction de protection et sa quasi-absoluité

Afin de mieux comprendre l’objectif du législateur, il peut être utile de consulter des propositions de loi anciennes et d’autres travaux législatifs préparatoires. La proposition de loi nº 2424 visant à lutter contre les mariages forcés et les mutilations sexuelles déposée le 19 novembre 2020(5), ou la proposition de loi n° 227 relative au mariage des mineurs déposée le 8 mars 2005(6),  se réfèrent à la protection des mineurs comme motif principal de la privation de liberté de convoler des mineurs. La même piste de réflexion a été suivie dans un arrêt de la Cour d’appel de Rennes de 21 juin 2021(7).  L’arrêt confirme et renforce la théorie de la protection des mineurs comme justification centrale d’interdiction du mariage du mineur en disant que  :
« […] Cette interdiction, destinée à prévenir les mariages forcés des enfants et d'une manière plus générale à les protéger, fait partie intégrante de l'ordre public international français et doit être impérativement respectée […] »

Avec l’impossibilité juridique pour des mineurs de se marier, le législateur tente d’éviter deux problématiques différentes : d’une part on veut décourager les décisions impulsives des jeunes amoureux ; d’autre part on essaie de combattre contre les pressions familiales et les soi-disant mariages forcés. Le dictionnaire juridique Lexique des termes juridiques  décrit plusieurs formes d’incriminations pénales concernant le mariage forcé susmentionné ; ici on traitera seulement la forme la plus connue : il s’agit d’une sorte de mariage forcé dans lequel une personne est soumise à des tortures ou à des actes de barbarie, dans le but de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union ou en raison de son refus de contracter ce mariage ou cette union.

Dans ce point de vue, on peut considérer la privation de liberté de convoler comme une protection contre la privation générale de liberté (cfr. supra le mariage forcé). Et puisque la protection est interprétée comme motif principal, il s’agit donc d’une interdiction de protection. Par conséquent, la prohibition du mariage du mineur n’est pas une prohibition absolue et des dérogations peuvent être permises.

Cela porte atteinte au caractère d’ordre public et affaiblit sa position dans la hiérarchie des normes. L’occasion idéale pour un autre droit fondamental de faire son entrée : le droit de liberté du mariage.

I)    Le jeu de pouvoir entre deux principes primordiaux

Vu que l’interdiction du mariage du mineur a perdu son caractère de principe, de nombreuses questions se posent concernant ses dérogations possibles. Le droit de liberté du mariage pourrait être capable de fournir les réponses, mais des conditions strictes y sont rattachées. Les conséquences juridiques de ce droit de liberté, seront-ils aussi limités ?

A)    Un effet limité de la liberté de se marier…

Le droit de liberté du mariage est un droit dont on peut trouver le socle dans le droit fondamental à la vie privée et familiale(8).  Néanmoins, des droits fondamentaux sont aussi restreints par des limites juridiques et des conditions d’application ; ce qui s’applique aussi également au droit de la liberté du mariage.

Une dispense de l’interdiction du mariage du mineur comporte toujours une démarche qui demande l’intervention de la justice et ainsi il demeure l’exception. On peut dériver cette exceptionnalité aussi de la définition du terme ‘dispense’ que le dictionnaire juridique Lexique des termes juridiques prescrit comme suit : « Une exemption d’une condition de fond ou de forme, accordée à une personne par les pouvoirs publics ou par la loi […] » Il s’agit donc toujours d’une affaire unique et chaque situation doit être traitée et jugée séparément.

Afin qu’un mineur puisse faire appel d’une telle dispense il a besoin de deux choses pour rendre justifiable sa demande de dérogation. Petite remarque que les articles de lois spécifiques ne seront pas pris en compte ; ils sont accessibles facilement à tous – tant en ligne que des ressources écrites – et ça n’ajoute donc aucune valeur de les citer ici. Les articles le plus significatifs peuvent être trouvés dans le premier livre, titre cinquième, chapitre I – IV du Code Civil(9). 

Comme déjà mentionné ci-dessus, un mineur doit acquérir deux choses pour obtenir une dérogation de l’interdiction du mariage du mineur : premièrement il s’agit d’un consentement d’origine familiale. À cet égard, l’autorisation des parents du mineur est la règle la plus courante. Le législateur a prescrit le besoin d’autorisation des deux parents, mais en pratique on peut voir que le consentement d'un seul suffira alors même qu'ils seraient tous deux en mesure de manifester leur volonté(10).  En l’absence de la possibilité de s’adresser aux parents, les grands-parents – et en troisième ligne l’aval du conseil de famille – peuvent donner leurs consentements(11). 

La deuxième limitation de la liberté du mariage peut être trouvée dans la l’exigence d’une dispense d’âge qui doit être accordée par le procureur de la République et justifiée par des motifs graves. D’importance significative est que le consentement d’origine familiale n’enlève rien à la nécessité d’accord du procureur de la République et vice-versa(12).  Le Code Civil sanctionne l’absence de l’un de ces deux ou tous les deux peut être frappés par la nullité relative, respectivement absolue.  Le dictionnaire juridique la décrit comme « Une sanction prononcée par le juge et consistant dans la disparition rétroactive de l’acte juridique qui ne remplit pas les conditions requises pour sa formation ». Elle distingue la nullité absolue et relative selon le caractère de la règle violée : objet de la sauvegarde de l’intérêt général ou de l’intérêt privé.

En fait, on peut constater que les conditions dans lesquelles un mariage peut être autorisé ont été rédigées dans un cadre juridique déterminé de façon rigoureuse. Le droit fondamental de liberté du mariage – ce qui pouvait sembler être prometteur et supérieur à première vue – a été forcément limité par le législateur, ce qui se traduit par un effet de liberté réduit. Ainsi, est-ce qu’on peut pousser ce raisonnement plus loin et s’attendre que les conséquences juridiques du mariage du mineur seront relativement limitées de même façon ?

B)    … mais de nombreuses conséquences pour les mariés

Malgré que les conditions sous lesquelles un mariage du mineur peut être autorisé soient strictes, résultant dans une liberté de mariage du mineur limitée, les conditions juridiques de l’acte mariage sont considérables. Le mariage du mineur implique automatiquement l’émancipation du mineur(14).  Le dictionnaire juridique Lexique des termes juridiques donne au terme ‘émancipation’ la définition suivante : « Un acte juridique par lequel un mineur acquiert la pleine capacité d’exercice et se trouve de ce fait assimilé à un majeur […] ».

Par conséquent, à partir du mariage le mineur peut jouir de tous les droits et bénéfices d’un majeur. Pensez p. ex. à la capacité de participer aux actes de la vie civile et le soustrait à l’autorité parentale(15).  Aussi l’article 143 du Code Civil concernant le mariage homosexuel est applicable en mariage du mineur. D’autre part il devra obéir un tas de nouvelles règles et prescriptions de la loi. Il s’agit p. ex. des interdictions du mariage incestueux ou polygamiques, la responsabilité des dommages causés à autrui(16),  la fin de l’obligation alimentaire et d’entretien des parents(17),  etc.
On peut constater que les conséquences du mariage du mineur sont nombreuses, tant en termes de nouveaux droits acquis qu’obligations.


(1) C. civ., art. 1101.
(2) C. civ., art. 1102.
(3) Art. 1; L. n° 2006-339, 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs .
(4) C. civ., art. 144.
(5) Proposition de loi, n° 2424, Assemblée nationale 2019-20.
(6) Proposition de loi, n° 227, Sénat 2004-05.
(7) Cour d’appel Rennes (ch. 06 A) 21 juin 2021, n° 20/04723, www.dalloz.fr.
(8) Art. 8 de la Convention européenne des droits de l’homme de 1789.
(9) Articles plus significatifs concernant la dérogation du mariage du mineur : art. 145, 148, 149, 150, 154, 155, 159, 160, 182, 183, 184 et 190 du Code Civil)
(10) M. LAMARCHE et J.-J. LEMOULAND, « Mariage : conditions de formation », Rép. pr. civ., janv. 2014.
(11) C. VERNIERES et M. GRIMALDI (dir.), « Formation du contrat de mariage » en « Dalloz action Droit patrimonial de la famille », 2018-19.
(12) I. CORPART, « Émancipation », Rép. pr. civ., janv. 2015.
(13) C. civ. art. 182, 183, 184 et 190.
(14) C. civ. art. 413-1.
(15) C. civ. art. 413-6, al. 1er.
(16) C. civ. art. 1242.
(17) C. civ. art. 371-2.

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