Covid-19 : Amazon sommé de restreindre son activité aux produits essentiels

Covid-19 : Amazon sommé de restreindre son activité aux produits essentiels

Publié le : 16/04/2020 16 avril avr. 04 2020

Alors que le géant de l’e-commerce en France est devenu une source d’approvisionnement conséquente pour de nombreux consommateurs confinés, la société s’est vue assignée en référé. Assignation faite à la demande d’un syndicat, suite à la crise sanitaire qui touche actuellement le pays du fait de la propagation du Covid-19, pour cessation du trouble manifestement illicite et afin de prévenir un dommage imminent.


Le Tribunal judiciaire de Nanterre a rendu sa décision le 14 avril 2020. 

Dans les faits, les dispositions particulières liées à l’état d’urgence sanitaire sont rappelées par le Tribunal, qui précise que le 30 janvier 2020, l’OMS a déclaré que le Covid-19 constituait « une urgence de santé publique de portée internationale ». Consécutivement le gouvernement français a pris une série de mesures destinées à freiner la propagation du virus, dont la limitation des déplacements des personnes à compter du 17 mars 2020 (hors motifs dérogatoires). 
Parallèlement, les entreprises françaises ont directement été impactées, le gouvernement ayant annoncé à la suite du passage au stade 3 de l’épidémie que « le télétravail devient la norme pour tous les postes qui le permettent ». 
Pour les activités ne permettant pas le télétravail, l’employeur doit alors garantir la sécurité des salariés en repensant l’organisation du travail (règles de distanciation, gestes barrières, limitation des réunions, limitation des regroupements dans les espaces réduits, report et annulation des déplacements non essentiels, rotation des équipes, etc…). 

Cependant, mobilisés, les salariés d’Amazon France ont déclenché des alertes pour danger grave et imminent et ont fait valoir leur droit de retrait, estimant que les mesures prises par la société n’étaient pas suffisantes pour assurer leur protection. Exercice du droit de retrait contesté par la direction du groupe, poussant certains salariés à saisir les juridictions prud’homales pour obtenir la validité de leur droit de retrait, tandis qu’une plainte a été déposée pour « mise en danger de la vie d’autrui ». 
Certains sites se sont vus adresser des mises en demeure par la DIRECCTE, de mettre en œuvre les mesures de prévention du risque Covid-19, l’inspection du travail ayant relevé à plusieurs reprises, l’inobservation de ces règles. 

Climat d’inquiétude et urgence de la situation qui à terme, ont permis au syndicat Sud Solidaire d’assigner la société en référé.

En appui à ses prétentions, le syndicat met en évidence la présence sur les sites d’au minimum 500 personnes, violant ainsi l’article 7 du décret du 23 mars 2020 interdisant les rassemblements et activités de plus de 100 personnes. 
Sont également évoqués le fait que la société n’a pas suffisamment évalué les risques, ni pris les mesures suffisantes permettant de remplir son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés, la société n’ayant pas procédé à une évaluation systématique des risques liés à la pandémie pour chaque situation de travail, et de plus elle n’y aurait pas associé les représentants du personnel. 

En premier lieu, le Tribunal judiciaire de Nanterre rejette le motif soulevé concernant le rassemblement de plus de 100 salariés. En effet, le décret adoptant cette mesure ne prévoit aucune limitation à la liberté d’entreprendre
    
Sur la violation de l’obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés, la direction du groupe assure avoir mis en œuvre l’intégralité des mesures édictées, tout en assurant la sécurité des salariés, de ses partenaires de livraison, et a ainsi pris selon-elle, des mesures qui vont au-delà des règles prévues, en réalisant notamment trois évaluations par jour (contrôle par l’équipe « safety », visites quotidiennes des sites avec les représentants du personnel, et réunions téléphoniques avec l’ensemble du personnel assurant des fonctions « support » sur les sites). 

Cependant le Tribunal n’est pas du même avis, et relève plusieurs manquements de la part de la société : 
 
  • La société ne peut pas justifier qu’elle a associé les représentants du personnel, notamment le CSE dans l’évaluation des risques, en ne justifiant d’aucun procès-verbal du CSE, ou de compte-rendu des audits qu’elle prétend réaliser régulièrement. Les seuls échanges avec ces instances font état de leur information à posteriori des mesures mises en place.
  • La société a insuffisamment évalué le risque lié aux portiques d’entrée installés sur plusieurs sites, portiques qui amènent les salariés à les pousser avec leurs mains, puisque obligés d’emprunter ce moyen unique d’accès au bâtiment utilisé par plusieurs centaines de personnes par jour. 
  • La société a insuffisamment évalué le risque lié à l’utilisation des vestiaires, lieux exiguës ou la seule présence « d’ambassadeur d’hygiène », sans fixer une limite maximum de salariés pouvant y être regroupés, n’est pas suffisante. 
  • La société n’a pas actualisé les plans de prévention avec les entreprises extérieures en conformité avec les protocoles adaptés au risque de contamination. 
  • La société a insuffisamment évalué les risques liés à la manipulation successive des cartons, de leur réception dans l’établissement à leur livraison au consommateur. 
  • L’existence d’un non-respect des règles de distanciation par constat d’huissier. 
  • La société a insuffisamment, et de manière inadaptée, pris des mesures de formation et de sensibilisation aux salariés, travailleurs temporaires et prestataires de services, relatives au risque de contamination élevé. 
  • La société a omis d’évaluer les risques psychosociaux en lien avec le risque épidémique, mais aussi avec les mesures de réorganisation induites par les mesures prises pour prévenir ce risque. 
Le Tribunal rappelle que « dans l’actuelle période d’état d’urgence sanitaire et eu égard au caractère hautement contagieux du virus alors que l’épidémie continue de se propager, que les services de santé demeurent surchargés et que chaque personne est un vecteur potentiel de transmission du virus, il appartient à la société, de prendre, en vue de sauvegarder la santé de ses salariés, des mesures complémentaires de nature à prévenir ou à limiter les conséquences de cette exposition aux risques ».  

La juridiction justifie alors sa décision sur la nécessité de faire cesser ce trouble manifestement illicite et à prévenir le dommage imminent, et en vertu de l’article 835 du Code de procédure civile, a ordonné à la société de procéder, dans les 24 heures qui suivent la décision : 
 
  • A l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de Covid-19 sur l’ensemble de ses entrepôts, en y associant les représentants du personnel.
  • A la restriction des activités de la société aux seules activités de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux jusqu’à l’élaboration de l’évaluation précitée, sous astreinte de 1 000 000 d’euros par jour de retard, et par infraction constatée. 


Face à une telle décision, rendue en première instance, le géant de l’e-commerce a annoncé fermer ses six plateformes logistiques basées en France, à minima jusqu’au 20 avril, et faire appel de la décision. 
Interrogé par les journalistes, le directeur général a expliqué regretter une telle décision selon lui pénalisante à la fois pour les collaborateurs, les consommateurs particuliers et professionnels, mais se dit dans l’impossibilité de pouvoir s’assurer qu’aucun collaborateur ne touche à un produit considéré comme « non-prioritaire ». 
Affaire à suivre… 


Référence de l’arrêt : TJ Nanterre 14 avril 2020 n°20/00503

Marion Glorieux, Legal Content Manager - AZKO

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