Airbnb : L'encadrement des locations meublées n'est pas contraire au droit de l'UE selon l'avocat général

Airbnb : L'encadrement des locations meublées n'est pas contraire au droit de l'UE selon l'avocat général

Publié le : 26/02/2021 26 février févr. 02 2021

Les villes françaises ayant adopté des règlements municipaux dits « anti-Airbnb » afin de réguler les locations meublées touristiques sur leur territoire sont nombreuses (Paris, Bordeaux, Lille, Nice, Lyon, Nantes, La Rochelle ...).

Ces règlements municipaux ayant été adoptés en application de l’article L.631-7 du Code de la construction (CCH), la question de leur validité se posait au regard de la compatibilité de cet article avec le droit de l’Union Européenne.

Une réponse positive -bien que nuancée- vient d’être apportée par l’Avocat Général de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Selon ses conclusions [1], la restriction aux locations meublées touristiques permise par le droit français est dans son principe conforme au droit de l’UE (I) ; il revient néanmoins au juge national d’examiner chaque règlement municipal afin de s’assurer que cette restriction est proportionnée et non discriminante (II).

Par un arrêt du 15 novembre 2018, saisie de la contestation d’amendes prises en application du règlement dit « anti-airbnb » de la ville de Paris, la Cour de Cassation a saisi la CJUE d’une question préjudicielle afin qu’elle se prononce sur la conformité de l’article L 631-7 du CCH précité au regard de la directive européenne 2006/123/CE dite « services ».

Dans une précédente publication « Location meublée de courte durée et droits de commercialité, ou comment louer en toute légalité » [2], nous faisions état de la question précisément posée à la CJUE, qui se décompose de la manière suivante :
 
  • La directive précitée est-elle applicable à l’activité de location meublée de courte durée ?
  • Dans l’affirmative, le régime de déclaration préalable de l’article L631-7 du CCH est-il constitutif d’un régime d’autorisation au sens de cette directive ?
  • Dans l’affirmative, ce régime d’autorisation répond-t-il à une raison impérieuse d’intérêt général ?
  • Dans l’affirmative, ce régime d’autorisation est-il proportionné à l’objectif poursuivi ?
  • Dans l’affirmative, enfin, les critères retenus pour l’octroi de l’autorisation préalable satisfont-ils aux conditions de clarté, objectivité, publicité, transparence et accessibilité requis par ladite directive ?

C’est dans ce contexte que les conclusions de l’Avocat Général de la CJUE, Monsieur BOBEK, viennent d’être rendues publiques : en synthèse, il conclut que l’encadrement des locations saisonnières est conforme au droit de l’UE, dans la mesure où cet encadrement répond à une raison impérieuse d’intérêt général (I), mais que cet encadrement doit néanmoins être proportionné (II), ce qu’il appartient au juge national d’examiner, notamment au regard des circonstances locales.

I) Le droit français, encadrant les locations meublées de courte durée, considéré comme conforme au droit de l’UE.

« L’objectif tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée constitue une raison impérieuse d’intérêt général (…) ».

Les conclusions de l’Avocat Général de la CJUE, dont l’avis est généralement suivi par la juridiction, étaient très attendues ; d’une part par les « fraudeurs », dans l’espoir de voir le fondement des poursuites diligentées à leur encontre (soit actuelles, soit auxquelles ils s’exposent) annihilé ; d’autre part par les différentes municipalités ayant encadré les locations meublées de courte durée, dans la crainte de voir leurs règlements déclarés par ricochet non conformes au droit de l’UE.

Le risque était en effet que l’article L.631-7 du CCH, qui sert de fondement à toutes les municipalités de France ayant adopté un règlement dit « anti-Airbnb », soit déclaré non conforme au droit de l’UE.

Tel n’est pas le sens des conclusions de l’Avocat Général.

Au contraire, il reconnaît que l’encadrement des locations meublées de courte durée, en ce qu’elle lutte contre la pénurie de logements destinés à la location meublée de longue durée, peut valablement constituer une « raison impérieuse d’intérêt général » justifiant l’instauration d’un régime d’autorisation au sens de la directive « services » précitée.

Il indique : « En résumé, lutter contre une pénurie de logements et chercher à garantir la disponibilité de logements suffisants (destinés à la location de longue durée) et abordables (en particulier dans les grandes villes), ainsi que la protection de l’environnement urbain, constituent des justifications valables pour l’établissement de régimes d’autorisation en général fondés sur une politique sociale. »

« (…) ni la liberté d’entreprise ni le droit de propriété n’ont de caractère absolu. Bien au contraire, ils peuvent tous deux être limités
».

Par ces conclusions, Monsieur BOBEK répond aux deux principaux arguments avancés afin de plaider pour la non-conformité du droit français au droit de l’UE : l’article L 631-7 du CCH contreviendrait au principe de la liberté d’entreprendre d’une part et au caractère absolu du droit de propriété d’autre part.

Son avis sur ce point est limpide : « sous l’angle de la directive 2006/123 et de la liberté d’établissement, ni la liberté d’entreprise ni le droit de propriété n’ont de caractère absolu. Bien au contraire, ils peuvent tous deux être limités ».

Plus particulièrement s’agissant du droit de propriété, il ajoute : « (…) pour autant que le contrôle de l’usage (i.e. d’un immeuble) ne soit pas une limitation à ce point sévère qu’elle constitue de fait une expropriation ou une dépréciation dissimulée de l’immeuble, des limitations même considérables de ces droits sont admises ».

Il s’agit là, à n’en pas douter, d’une validation du principe même de la possibilité d’encadrement des locations meublées de courte durée que ni la liberté d’entreprendre, ni le droit de propriété, ne sauraient, en soi, ployer.

Cela étant, cette validation du principe est subordonnée au respect de certaines conditions : « (…) notamment les conditions de proportionnalité et de non discrimination, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier ».

II) Le contrôle de proportionnalité de l’encadrement dévolu au juge interne.

« La proportionnalité de la nécessité d’obtenir une autorisation doit s’examiner en considération des circonstances locales. »

L’encadrement des locations meublées de courte durée comme moyen de lutte contre la pénurie de logements serait donc conforme au droit de l’UE, mais à condition de respecter le principe de proportionnalité, lequel ne peut s’examiner qu’en considération des circonstances locales :

« (…) pour être proportionnel, la détermination de la nécessité d’un régime d’autorisation devrait être fondée sur des données spécifiques concernant le marché du logement dans les communes où il est envisagé d’instaurer un tel régime. (…) ces éléments de preuve sont essentiels au niveau local, aux fins précisément de parvenir à une solution proportionnelle compte tenu des circonstances locales spécifiques ».

« (…) S’il est admis que le niveau local peut adopter des règles et préciser les conditions d’un régime d’autorisation, la proportionnalité de ces règles dépendra probablement de la prise en compte des circonstances et spécificités locales ».


« L’obligation de compensation ne saurait être en soi qualifiée d’incompatible avec le principe de proportionnalité. »

Dans les faits, cet encadrement de la location meublée de courte durée se traduit par une obligation de compensation consistant, de façon résumée, à devoir créer autant de surfaces habitables qu’il en est supprimé à raison de la création de meublés de courte durée.

Monsieur BOBEK considère que le recours à une telle obligation , dans le cadre du régime d’autorisation préalable prévu par l’article L 631-7 du CCH, ne contrevient pas au droit de l’UE :

« En règle générale et en tant que telle, une obligation de compensation pourrait effectivement être un moyen de répondre à un problème de pénurie de logements. Il ne saurait être affirmé que cette obligation est, en soi, incompatible avec l’article 10, paragraphe 2, sous c), de la directive 2006/123 » (i.e. au principe de proportionnalité de la restriction apportée).

« la manière dont cette obligation de compensation est conçue est très efficace pour atteindre l’objectif poursuivi : conserver approximativement la même quantité d’espaces réservés aux habitations sur le marché des logements destinés à la location de longue durée »


L’obligation de compensation doit donc être selon lui modulée en fonction des circonstances locales afin de respecter le principe de proportionnalité.

Il propose pour cela différentes pistes, notamment des autorisations temporaires non soumises à compensation :

« Il est possible d’envisager plusieurs hypothèses dans lesquelles une telle obligation pourrait être proportionnée dans un contexte municipal, notamment en prévoyant certaines exceptions, telles qu’une limitation de l’obligation de compensation aux locaux supérieurs à une certaine surface, ou une limitation aux propriétaires ayant plusieurs locaux d’habitation, ou encore la délivrance d’autorisations temporaires qui ne sont pas soumises à compensation, qui seraient réexaminées périodiquement et éventuellement redistribuées. »

« Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier tous ces points, y compris la mise en œuvre concrète de l’obligation de compensation ».


Comme nous l’avons vu, l’Avocat Général de la CJUE considère que l’obligation de compensation est très efficace pour prévenir la pénurie de logements destinés à la location de longue durée.

Néanmoins, elle est à ce point efficace qu’elle doit non seulement ne pas contrevenir au principe de proportionnalité, mais également respecter le principe d’interdiction des discriminations.

« Cette problématique peut être formulée soit en termes de la proportionnalité de l’obligation pour certaines catégories sociales [3], soit en tant que question relative à la discrimination (…) ».

Ainsi, il s’agit notamment de s’assurer que les particuliers -bailleurs non professionnels- ne disposant pas des moyens financiers leur permettant de satisfaire à l’obligation de compensation, puissent accéder au marché de la location meublée de courte durée.

Or, cette obligation de compensation n’est dans les faits pas traitée uniformément par les différentes municipalités : certaines acceptent en effet que les requérants puissent se prévaloir de droit de commercialité afin de satisfaire cette obligation [4], lesquels représentent un coût évidemment moindre à l’acquisition d’un local à transformer, alors que d’autre exigent que l’obligation de compensation soit satisfaite par le requérant lui-même via l’achat, par ses soins, d’un local à usage autre que d’habitation qu’il transformera lui-même en logement.

L’Avocat Général indique que la CJUE ne dispose pas des informations suffisantes (en l’espèce en ce qui concerne la ville de Paris) afin de se prononcer sur le respect par le règlement parisien des principes sus évoqués de proportionnalité et de non-discrimination ; il indique ainsi qu’« Il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier tous ces points, y compris la mise en œuvre concrète de l’obligation de compensation ».

Conclusions

L’avis de l’Avocat Général ne lie pas la juridiction, mais est en général suivi : il est donc probable que la décision de la CJUE qui devrait intervenir dans les prochains mois valide également le principe de l’encadrement des locations meublées de courte durée, et confie au juge national, ainsi que requis aux termes des conclusions de M. BOBEK, le soin de s’assurer que chaque règlement municipal respecte le principe de proportionnalité et de non-discrimination.

En pratique, il semblerait que le principe d’une autorisation temporaire de changement d’usage réservée à un unique bien loué en meublé de courte durée par propriétaire, permettant à chacun d’accéder au marché de la location meublée de courte durée conformément à l’une des recommandations de Monsieur BOBEK, tout en maintenant l’obligation de compensation aux seuls autres biens proposés en meublé de courte durée permettrait de respecter ces deux principes.

L’arrêt à rendre par la CJUE ne sera vraisemblablement pas plus explicite sur ce point. Celui à rendre par la Cour de Cassation devra en revanche être scruté avec attention pour préjuger du devenir de cette règlementation.

À suivre…


Martin PEYRONNET - Avocat

1] http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=224903&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=3191063

[2] https://www.village-justice.com/articles/location-meublee-courte-duree-droits-commercialite-comment-louer-toute-legalite,30989.html

[3] au titre de l’article 10, paragraphe 2, sous c)

[4] Cf. précèdent article


 

 

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