L’internement psychiatrique sous contrôle du juge et de l’avocat
Publié le :
23/03/2021
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« C’est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous » disait Erasme.
Une partie de la France criait au complot lorsque le Professeur FOURTILLAN, protagoniste du film polémique HOLD UP, fut interné en hôpital psychiatrique.
Pourtant, l’internement psychiatrique, ou hospitalisation complète sans consentement ou hospitalisation d’office ; ces termes revêtent la même réalité ; ne date pas d’hier. Pis encore, chaque année plus de 80.000 hospitalisations sous contrainte ont lieu.
On trouve les prémices avec les lois de cachets et à une époque plus contemporaine de la nôtre, avec la loi dite Esquirol du 30 juin 1838. Cette dernière posera les premières pierres de la psychiatrie moderne.
Cette mesure concerne une personne qui souffrant de troubles psychiatriques représente un danger pour elle-même ou pour les autres. Parce qu’elle n’est plus en capacité de faire preuve de discernement, cette dernière peut recevoir sans son consentement des soins et être placée dans un service dédié, afin que ces soins puissent être prodigués sous le contrôle de médecins.
Bien entendu, ces mesures ont évoluées avec le temps. Deux lois vont considérablement faire évoluer la matière.
La première loi est celle du 5 juillet 2011. Cette loi fait suite à une décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010 imposant au visa de l’article 66 de la constitution un contrôle judiciaire systématique des hospitalisations complètes sous contrainte. Cette loi apporte deux choses :
- Elle unifie le contentieux de l’hospitalisation d’office devant le seul juge judiciaire ;
- Les mesures d’hospitalisations sans consentement sont systématiquement soumise au juge judiciaire avant l’expiration d’un délai de 15 jours ;
- Le recours à un avocat était possible mais pas obligatoire ;
C’est dans ce cadre que le cabinet intervient régulièrement en la matière depuis le mois d’aout 2018.
Deux grands principes méritent une attention particulière. D’une part le juge et l’avocat ne sont pas médecins (I), d’autre part, l’avocat dispose d’un mandat particulier qui peut aller au-delà de la volonté de son client (II).
I - La distinction nécessaire du juridique et du médical
D’une apparente simplicité, cette distinction apparaît en pratique plus complexe qu’il n’y parait.Tout d’abord, le législateur a prévu toute une série de garanties destinées à s’assurer de la nécessité de la mesure. Rappelons que ces mesures sont restrictives de liberté et ont lieu sans le consentement des patients.
Ainsi le code de la santé publique exige que la saisine du juge de la liberté et de la détention soit accompagnée de tous les certificats et avis médicaux qui ont justifiés la mesure ainsi que le certificat ou l’avis médical le plus récent qui justifie le maintien des soins (article R.3211-12 du code de la santé publique).
Saisie d’un appel, le premier président de la Cour d'Appel dispose également de 12 jours pour se prononcer (article R.3211-22 du code de la santé publique). Un certificat récent doit également lui être transmis.
Afin de mettre en mesure le juge de se prononcer sur le bien-fondé de la mesure, le certificat médical doit décrire avec précision les manifestations des troubles mentaux dont est atteinte la personne et les circonstances particulières qui, toutes deux, rendent nécessaire la poursuite de l’hospitalisation complète (article R.3211-24 du code de la santé publique).
En effet cette stricte répartition des compétences entre magistrats et médecins a été rappelée par la Cour de Cassation qui a jugé qu’il résultait des articles L. 3211-12-1, L. 3216-1, L. 3212-3 et R. 3211-12 du code de la santé publique que le juge qui se prononce sur le maintien de l'hospitalisation complète doit apprécier le bien-fondé de la mesure au regard des certificats médicaux qui lui sont communiqués, sans substituer sa propre appréciation.
- Cour de Cassation 1ère chambre civile 27 septembre 2017 n°16-22.544 ;
Son office se limite donc à apprécier l’existence des conditions fixées par les textes. Ainsi, il a pu être jugé que « « sauf à priver le contrôle du juge sur la régularité de la mesure de toute effectivité, la seule mention générale, au demeurant manifestement pré-imprimée, selon laquelle le patient présente des troubles mentaux qui nécessitent des soins ou qui compromettent ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public et/ou à la sécurité des personnes est insuffisante à caractériser le danger imminent justifiant le recours à la procédure d'admission provisoire immédiate et il appartient au praticien d'expliquer en quoi les constatations cliniques sont constitutives de ce danger imminent, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. La motivation de l'arrêté municipal (...) qui fait exclusivement référence au certificat médical du docteur W. apparaît donc insuffisante » .
- Cour d'Appel Versailles 1er juillet 2016, n° 16/04702 ;
Si la Cour de Cassation a eu besoin de le rappeler c’est parce que cette distinction n’est pas si aisée dans la pratique. Quand bien même une personne pourrait apparaître comme souffrant de certains troubles, il ne revient ni à l’avocat, ni au juge de décider sur ces seules constatations du bien fondée de la mesure.
Chacun chez soi, et les poules seront bien gardées !
Laissons le droit au juriste, et le médical aux médecins. C’est dans ce strict rôle que l’homme de droit doit se cantonner.
II - Le rôle de garant des libertés attribué à l’avocat
L’avocat est la personne désignée pour faire des droits de la défense une réalité. Au nom de cette défense, l’avocat peut aller plus loin que les instructions de son client.En effet, il n’est pas rare que le patient ne souhaite pas se rendre à l’audience, qu’il soit médicalement empêché ou encore qu’il se désiste de son appel. Dans ces conditions, lorsque l’avocat n’a pas pu s’entretenir avant l’audience avec son client et qu’il ne connaît pas l’intention de ce dernier, que doit-il faire ?
Il n’existe pas de réponse toute faites. On aurait tendance à dire que si le client souhaite rester à l’hôpital, alors l’avocat ne doit pas être plus royaliste que le roi. Cependant, face à cet élément, le juge devrait constater de lui-même qu’une des conditions de l’hospitalisation d’office, laquelle implique l’absence de consentement, fait à ce moment défaut et que la mainlevée de la procédure doit être prononcée…
Face à cette difficulté, la Cour d'Appel de Versailles a rendu un arrêt qui a permis de préciser en des termes limpides le rôle de l’avocat.
Il a été jugé qu’en cas de recours judiciaire en matière de soins psychiatriques, l’avocat tient son mandat de représentation du patient autant de la loi que de son client. Dès lors, il dispose d’un pouvoir autonome pour interjeter appel ou maintenir celui-ci en cas de désistement d’appel de son client.
- Cour d'appel de Versailles, 20e chambre, 21 mai 2015, n° 15/03618 ;
Il est donc tout à fait possible pour l’avocat de plaider contre la volonté de son client dès lors que la loi ne cherche pas à protéger des intérêts privés mais l’intérêt général qui veut que chaque privation injuste de liberté reste une privation injuste de trop !
La défense de la liberté individuelle implique que des décisions injustes ne puissent pas inspirer les décisions des juges du premier et du second degré. Dans ce but, l’avocat dispose de toute la latitude nécessaire pour mettre fin à de telles situations. Quand bien même le principal intéressé finirait par adhérer aux soins et à valider à postériori des mesures irrégulières, l’avocat a le droit et parfois même le devoir de faire invalider de telles décisions.
Ce serait bien la pire des folies que de se cantonner à un rôle passif, et laisser la folie de certaines situations être validées par le droit.
Me David GUYON - Avocat au Barreau de Montpellier
Chargé d'enseignement - Université de droit de Montpellier
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