Absence de responsabilité contractuelle lorsque le contrat a été déclaré nul
Publié le :
09/08/2021
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Préambule
La responsabilité contractuelle consiste pour le débiteur de l’obligation, à réparer le ou les préjudices résultant d’un défaut d’exécution du contrat (exécution tardive, inexécution ou mauvaise exécution).Cette réparation donne lieu au paiement de dommages- intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, si le débiteur ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure (article 1231-1 du Code civil).
Le mandat est un contrat par lequel une personne (le mandant) donne à une autre (le mandataire) le pouvoir d’accomplir quelque chose en son nom et pour son compte.
En l’espèce
Il s’infère de l’exposé des faits et de la procédure de l’arrêt commenté que le 29 octobre 2009, un propriétaire d’immeuble agissant en son nom personnel et au nom de sa sœur, a conféré mandat à un avocat de vendre ou de donner de gré à gré, la totalité ou partie des droits indivis de toute propriété immobilière située au Maroc et des parts ou actions détenues dans toutes sociétés leur appartenant, depuis le décès de leur tante.Un mois après la conclusion du mandat, le 20 novembre 2009, la vente d’un terrain situé au Maroc est conclue au prix de 90 000 euros.
Le mandant assigne le mandataire et ses assureurs en annulation du mandat et en paiement de dommages-intérêts.
A l’appui de cette demande, le mandant fait valoir que l’objet du mandat était indéterminable, faute de précision sur la consistance et la localisation des bien immobilier objet du contrat, et que la valeur du bien était bien supérieure à celle consentie le 20 novembre 2009.
Décédé en cours de procédure, ses héritiers interviennent en reprise d’instance.
Par arrêt du 16 mai 2019 rectifié le 4 juillet 2019, la Cour d’appel de Douai a prononcé la nullité du mandat et a fait droit à la demande de dommages-intérêts aux motifs que :
- Le mandat conclu entre l’avocat et le mandant n’identifiait pas « les biens immobiliers dans lesquels les mandants avaient des droits indivis et les sociétés dans lesquelles ils avaient des parts sociales, que ces biens n’étaient pas localisés, que leur consistance n’était pas indiquée et que les droits indivis des mandants sur ces biens n’étaient pas davantage définis ».
L’objet du mandat était en outre incertain en prévoyant tout à la fois la vente et la donation des biens étant ajouté que, contrairement à l’avocat, « les mandants ne connaissaient pas la consistance du patrimoine hérité de leur tante lorsqu’ils avaient accepté de signer la procuration, celui-ci leur ayant simplement indiqué qu’ils étaient propriétaires d’un terrain situé au Maroc » (Premier moyen).
- Le mandataire connaissait l’existence et la consistance de la parcelle en cause avant de faire signer au propriétaire un mandat de vendre ou de donner présentant un objet incertain.
Par conséquent, cette information, par ailleurs ignorée de ses mandants, lui a permis de vendre la parcelle à un prix fixé par lui seul, sans contrôle de ces derniers.
La Cour en conclut que l’avocat a commis des manquements contractuels qui ont fait perdre aux héritiers « la chance de conclure un mandat de vente régulier à l’objet certain, en toute connaissance de la consistance et de la valeur de la parcelle en cause, et ainsi de la vendre à un prix correspondant à sa valeur réelle devant être évaluée à la somme de 100 000 euros » (Deuxième moyen).
Un pourvoi a été formé à l’encontre de cet arrêt.
Le demandeur au pourvoi a présenté une succession de griefs.
Il fait tout d’abord grief à l’arrêt d’avoir prononcé la nullité du mandat alors que celui-ci « est suffisamment déterminé s’il porte sur un ou des biens déterminables »
L’avocat demandeur au pourvoi soutient ensuite que la Cour ne pouvait, pour le condamner au paiement de dommages-intérêts, juger qu’il avait engagé sa responsabilité contractuelle, alors que la nullité emporte anéantissement rétroactif du contrat.
Ce sont les deux moyens qui nous intéressent.
Rappels liminaires
Pour appréhender pleinement la portée de l’arrêt, il convient au préalable de rappeler les fondamentaux.- L’objet du contrat
L’article 1129 ancien du Code civil disposait :
« Il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce.
La quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu’elle puisse être déterminée ».
Le nouvel article 1163 du Code civil dispose désormais que :
« L’obligation a pour objet une prestation présente ou future.
Celle-ci doit être possible et déterminée ou déterminable.
La prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages iou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire ».
Ces dispositions répondent à l’exigence contractuelle selon laquelle la chose objet de la convention doit être identifié de façon précise, ou a minima qu’il puisse être défini en ses éléments, en son espèce et sa quantité.
Il s’agit de s’assurer que les cocontractants se sont accordés sur la chose qui est l’objet de leur convention.
Les faits de l’espèce répondaient aux dispositions antérieures à la réforme du droit des obligations.
- Les sanctions applicables au contrat
L’arrêt nous amène à nous interroger sur les différents types de sanctions inhérentes au contrat, et sur leurs différences.
On peut ainsi recenser, notamment :
La résolution : prévue aux articles 1224 à 1230 nouveaux du Code civil, elle trouve à s’appliquer en cas d’inexécution de l’un des cocontractants, en matière de contrat synallagmatique. Elle a un effet rétroactif, autrement dit le contrat n’est censé n’avoir jamais existé.
La résiliation : elle concerne les contrats à exécution successive et sanctionne une inexecution contractuelle. A la différence de la résolution, elle n’a d’effet que pour l’avenir.
La caducité : elle sanctionne le défaut d’une condition essentielle du contrat, qui a disparu après la formation du contrat. Elle n’a d’effet que pour l’avenir.
La nullité : tout comme la caducité, elle s’applique au contrat dont une condition essentielle fait défaut, mais au moment de sa formation. Elle a un effet rétraoctif : le contrat disparaît, rétroactivement.
Problématiques soulevées et portée de l’arrêt
L’arrêt pose tout d’abord la question du caractère déterminable de l’obligation contractée.Se pose ensuite la question de savoir si la nullité d’un contrat fait échec à toute action en responsabilité engagée sur les clauses qu’il contenait.
L’arrêt permet de rappeler l’effet rétroactif qui résulte de la nullité, et des conséquences d’un tel effet sur le fondement juridique soulevé à l’appui d’une demande en réparation.
On a vu que la nullité est prononcée lorsque le contrat est atteint, dès l’origine, d’un vice (absence d’objet, vice du consentement)
A la différence, la résolution sanctionne l’inexécution contractuelle d’une des parties contractantes (non-respect des délais, absence d’exécution pure et simple ou exécution partielle, mauvaise exécution…)
Les deux ont cependant les mêmes effets : la rétroactivité. Le contrat est censé n’avoir jamais existé.
Aussi, parce que le contrat est déclaré nul, ou résolu, la partie ne sera plus fondée à se prévaloir d’une inexécution contractuelle.
L’anéantissement rétroactif du contrat a pour effet de faire disparaître le contrat : celui-ci est censé n’avoir jamais existé.
Et parce qu’il n’a jamais existé, le cocontractant ne peut donc alléguer d’un manquement de son cocontractant à ses obligations contractuelles pour prétendre à l’octroi de dommages-intérêts.
C’est sous cet angle que la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Douai, en ce qu’il a retenu, tout en ayant prononcé la nullité du contrat, que l’avocat aurait engagé sa responsabilité contractuelle, et l’a condamné in solidum avec ses assureurs à payer une somme de 100 000 euros.
Elle relève ainsi que « L’anéantissement rétroactif d’un contrat fait obstacle à une action en responsabilité contractuelle fondée sur les dispositions de celui-ci ».
L’erreur du mandant a été fatale : en requérant la nullité du contrat, il s’est privé de tous dommages-intérêts résultant d’une mauvaise exécution de la part de son cocontractant (en l’occurrence, tout particulièrement, le fait d’avoir vendu un bien immobilier à un prix inférieur).
Peut-être aurait-il fallu agir, purement et simplement, sur le seul fondement de la responsabilité contractuelle, en engageant la responsabilité du cocontractant défaillant au paiement de dommages-intérêts résultant de son inexécution, ainsi que le prévoit l’article 1147 ancien du Code civil.
Me Eugenie CRIQUILLON
Référence de l'arrêt : Cass. civ 1ère 19 mai 2021 n°19-19.437
Historique
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