Jets privés : les possibilités d’une réglementation plus stricte
Publié le :
22/09/2022
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L’été fut chaud, très chaud. Cela a-t-il permis aux Français et plus spécifiquement aux pouvoirs exécutif et législatif de réaliser l’urgence absolue qu’est la diminution de l’empreinte carbone ? Les prochaines semaines seront décisives en termes de mesures à prendre, car « il faut battre le fer tant qu’il est chaud » (très chaud).
L’une des mesures ayant émergé, et ayant immédiatement fait polémique, est la possible limitation, voire l’interdiction des voyages en jets privés.
Restrictions des vols courts… mais pas pour tout le monde
Un rappel de chiffres est ici utile : l’aviation, de manière globale, représente entre 2 et 3% des émissions de CO². En France, les vols en jets privés représentent 10% environ du trafic aérien, sachant que ces vols émettent entre cinq et quatorze fois plus de CO² qu’un vol commercial classique, sans gain de temps sur le trajet.La question de la limitation des vols intérieurs a déjà été abordée à l’occasion de l’adoption de la loi n°2021-1104 du 22 août 2021, dite « loi climat et résilience ». Le texte prévoit notamment une interdiction d’utilisation d’un vol intérieur lorsqu’une alternative ferroviaire crédible existe. Cette loi prévoit cependant des exemptions pour le moins discutables, particulièrement le fait que les vols en jets privés soient purement et simplement exclus de cette obligation d’utiliser une alternative possible.
Si l’on ajoute à cela qu’il existe actuellement un projet européen de taxe sur le kérosène, dont l’aviation d’affaires et les vols d’agrément seraient exemptés, il n’est pas inutile de s’interroger sur la légitimité de ces exceptions qui profitent à une population limitée et déjà extrêmement aisée (le coût d’achat d’un jet privé se compte en millions d’euros, sans compter son utilisation et son entretien).
Discrimination et logique bancale ?
Cela n’a pas empêché divers médias de s’interroger sur la nécessité de limiter les vols des jets privés, taxant principalement cette proposition de « mesure anti-riches ».Tout d’abord, ne pas instaurer de telles mesures reviendrait à conserver le statu quo : on demanderait à l’ensemble de la population de faire l’effort de diminuer l’usage de l’avion pour les vols courts, tout en laissant quelques personnes, financièrement privilégiées, conserver la possibilité d’utiliser à leur guise un jet privé pour parcourir quelques centaines de kilomètres.
Tout le monde étant, en théorie, égal devant la loi, il serait judicieux qu’une loi en faveur de la restriction des trajets aériens courts contienne des dispositions concernant les jets privés. L’argument de la mesure « anti-riches » implique que les « riches » en question feraient l’objet d’une discrimination si de telles mesures étaient mises en place. L’argument est très faible : la limitation ou l’interdiction de vol des jets privés ne concernent pas une population riche, mais l’utilisation des appareils en question. Le fait que l’appareil soit utilisé par une personne financièrement aisée est sans conséquence. En raisonnant a contrario, on pourrait affirmer que sans application de cette régulation, l’ensemble de la population, à l’exception des plus riches, aurait interdiction de se déplacer en avion sur de courtes distances. Ne s’agirait-il pas d’une politique discriminatoire « anti-pauvres » ?
Un autre argument avancé est celui de l’attractivité de la France concernant les personnalités (footballeurs, chanteurs, etc). L’égalité devant la loi devrait également prévaloir : les personnalités sportives ou du spectacle ne sont que des individus comme les autres, soumis aux lois de la République dès lors qu’ils entrent sur le territoire français. En raisonnant par l’absurde, pourquoi ne pas exempter les personnalités de la législation française sur la fraude fiscale, le viol ou le meurtre ?
Pluralité de solutions, pluralité d’effets
En admettant donc l’utilité de légiférer sur l’utilisation des jets privés, quelles seraient les mesures possibles, et surtout souhaitables ?- Fortement taxer la vente de jets privés
- Taxer spécifiquement les vols privés
- N’autoriser que les véhicules ayant un bilan carbone neutre
Il s’agit en effet d’une solution souhaitable, qui n’entraverait pas ce secteur de l’économie et permettrait de protéger l’environnement. Il y a cependant deux obstacles majeurs à cette solution : premièrement, les jets privés neutres en émissions n’existent pas à l’heure actuelle, il faudrait par conséquent interdire tous les jets privés. Deuxièmement : il ne serait pas suffisant qu’un jet fonctionne à l’hydrogène pour qu’il soit considéré neutre sur le plan carbone, il faut également prendre en considération la pollution émise pour sa construction, pour son fonctionnement (départ et arrivée), etc. Selon cette logique, s’agissant de véhicules non essentiels, il faudrait que tous les jets privés soient interdits.
- L’interdiction complète
Les conséquences ne sont pas négligeables sur le plan économique, notamment pour les constructeurs de ces véhicules. Une solution de transition pourrait être envisagée, qui combinerait les approches évoquées plus avant, jusqu’à aboutir à une interdiction complète.
L’interdiction complète des vols en jets privés serait la seule solution à la fois réaliste et efficace pour atteindre les objectifs environnementaux ambitieux que la France s’est fixée et pour lesquels elle tarde pour le moment à prendre des mesures concrètes. Il s’agirait également d’un signal fort envoyé à la population, en supprimant ce que le porte-parole du Gouvernement qualifiait il y a peu de « symbole d’un effort à deux vitesses ». Certaines situations pourraient être prises en compte pour implémenter des solutions moins contraignantes (la taxation des vols par exemple). Idéalement, cette solution devrait être appliquée à l’échelle européenne et internationale, et s’étendre aux autres activités fortement polluantes, largement dispensables et réservées à une population très restreinte et détachée des préoccupations financières de la vaste majorité des Français : quads, yachts, bateaux de croisière, voire tourisme spatial.
Antoine ROUABLE - Rédacteur juridique
SECIB
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