C’est dit : les preneurs de baux commerciaux doivent payer les loyers Covid

C’est dit : les preneurs de baux commerciaux doivent payer les loyers Covid

Publié le : 02/09/2022 02 septembre sept. 09 2022

Lors de ses audiences des 14 et 15 juin 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a examiné trois pourvois portant sur la suspension du paiement de leur loyer par des commerçants pendant l’état d’urgence sanitaire.

La Cour a rendu ses trois décisions le 30 juin dernier.



Lors du premier confinement ordonné afin de limiter la propagation de Covid-19, les autorités ont interdit l’accueil du public dans les locaux commerciaux considérés comme non-essentiels.

Pour rappel, en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré pour tenter d’enrayer l’épidémie sur l’ensemble du territoire national.
En application de l’article 3,I, 2 du décret du 23 mars 2020 et du décret n°2020-423 du 4 avril 2020, tout déplacement de personne a été interdit hors de son domicile a été interdit, à l’exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l’activité professionnelle et des achats de première nécessité.
Les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 et les décrets précités avaient prévu par ailleurs une interdiction de recevoir du public entre le 17 mars 2020 et le 10 mai 2020, selon les catégories d’établissements, et liée au caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l’absence de première nécessité des biens et services fournis par ces établissements.
Suite à ces restrictions et à la fermeture de leurs commerces, de nombreux commerçants locataires ont alors suspendu le paiement de leur loyer à leur bailleur.
À l’occasion d’actions en paiement initiées par les bailleurs, la question du bien-fondé de cette suspension a été posée.

À l’occasion d’actions en paiement initiées par les bailleurs, la question du bien-fondé de cette suspension a été posée.

Des décisions éparses ont été rendues jusqu’alors par les juges de première instance et/ou juges du fond et se dégageaient même dernièrement une tendance plutôt favorable aux preneurs consistant à reconnaître la perte matérielle de la chose louée du fait de la fermeture administrative de leurs locaux, justifiant selon certaines juridictions que ne soient pas dus les loyers afférents à cette période de fermeture.

Plus de deux ans après les premières fermetures, les procédures en paiement initiées par les bailleurs pour recouvrer les arriérés de loyers ont suivi leurs cours et certaines d’entre elles sont allées jusqu’au pourvoi devant la juridiction suprême.

Parmi les trente pourvois dont est actuellement saisie la Cour de cassation, la troisième chambre civile a décidé alors d’en examiner trois en priorité, dits "pilotes". Ces trois pourvois vont lui permettre de se prononcer sur l’ensemble des fondements juridiques invoqués à l’appui de cette suspension de paiement.

Le parquet général de la Cour de cassation a versé aux débats une note du ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance relative à l’impact de la crise sanitaire sur les loyers des commerces.
 
Il ressort de cette note que :
 
  • Jusqu’à 45% des établissements du commerce de détail ont été fermés durant la crise ;
  • Le montant total des loyers et charges locatives ainsi immobilisés est estimé à plus de 3 milliards d’euros ;
  • Ces entreprises ont pu bénéficier de trois dispositifs d’aides (fonds de solidarité, coûts fixes et aide loyers) se succédant dans le temps, ainsi que d’autres mesures de soutien.
Les questions posées à la Cour de cassation ont été les suivantes :

1. Les mesures prises par les autorités publiques écartent-elles le droit commun de la relation contractuelle ?
2. L’interdiction de recevoir du public constitue-t-elle :
 
  • Un cas de force majeure pouvant être efficacement invoqué par le locataire ?
  • Un manquement du bailleur à son obligation de délivrance justifiant que le locataire se prévale du mécanisme de l’exception d’inexécution ?
  • Une perte de la chose louée, au sens de l’article 1722 du Code civil, permettant au locataire de solliciter une réduction du montant des loyers dus ?
La Cour de cassation a ainsi rendu ce 30 juin 2022 trois arrêts dans trois affaires aux contextes factuels et procéduraux différents (jex, référé, et fond) lesquelles, contre toute attente, faisant fi de la tendance actuelle des juridictions en faveur des locataires, sont tombées comme un couperet étêtant les constructions prétoriennes dessinées jusqu’alors en faveur des preneurs.

Coup dur pour les différents commerçants concernés et qui avaient dû baisser le rideau, car "non essentiels" afin de permettre de tenter d’enrayer l’épidémie de Covid-19.

Trois pourvois (21-20.190 ; 21-20.127 et 21-19.889), trois arrêts, tous les trois unanimes sur les points suivants, particulièrement sévères pour les locataires commerciaux qui s’étaient jusqu’alors abstenus de régler les loyers et charges afférents à la période Covid :
 
  • Les mesures de restrictions mises en œuvre par le Gouvernement pendant la période de crise sanitaire liée à la Covid-19 ne peuvent être assimilées à une perte de la chose louée selon l’article 1722 du Code civil. Il s’agit selon la Cour de mesures temporaires et générales sans lien direct avec la destination contractuelle des locaux ;
  • La mesure de restriction portant interdiction de recevoir du public n’est pas constitutive d’une inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance au sens de l’article 1719 du Code civil ;
  • Le locataire débiteur de loyers ne peut invoquer la force majeure.
La décision de la Cour de cassation qui intervenait en bout de course d’une procédure de référé est même allée plus loin, en déclarant que la période Covid-19 et les mesures restrictives en ayant découlé ne sauraient constituer des motifs de contestations sérieuses à la demande de règlement des loyers initiée par les bailleurs.

Ici la Cour bat en brèche les argumentaires soulevés dans les dossiers par les preneurs en référé pour tenter de faire échec à l’action en recouvrement des bailleurs à ce stade procédural. On le sait, le Juge des référés est Juge de l’Evidence et ne peut rendre sa décision en présence de contestations sérieuses. Aussi, jusqu’alors, les locataires assignés en référé par leur bailleur invoquaient l’existence de telles contestations compte tenu de la période de crise sanitaire et aux restrictions en ayant découlé, empêchant selon eux de rendre automatiquement exigible le règlement des loyers, contestations qui devaient alors se "régler" au fond, après avoir été débattues. La Cour de cassation invalide donc désormais ce type d’argumentaire, ouvrant ainsi un boulevard aux bailleurs pour solliciter en référé le règlement des arriérés de loyers quand bien même ceux-ci concernaient la période Covid.

Ces décisions ne sont pas positives pour les preneurs commerciaux et ne sont pas à l’avantage des "petits commerçants", dont la trésorerie avait pris un coup, parfois fatal, durant la pandémie.
 
En revanche, ces arrêts confortent largement, à l’inverse, l’action des bailleurs en recouvrement des arriérés de loyers et de charges de leurs locataires, y compris pour ceux afférents à la période de crise sanitaire : les commerçants fermés pendant les confinements devront honorer les loyers en suspens et non réglés jusqu’alors.

Sauf bien sûr, à ce qu’un accord ait été trouvé avec leur bailleur.


Virginie AUDINOT - Barreau de Paris
AUDINOT Avocats
 

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